Indignez-vous, qu'il disait
(je vous le fais "l'air de rien", comme si on s'était quitté il y a quelques jours... Hum)
Profitant de l'absence de mes maîtres partis gagner leur pitance à la sueur des wagons de métro surchargés de populace besogneuse, je lisais ce matin dans Télérama (on est bobo ou on ne l'est pas), langoureusement étalé sur le canapé qui trône face à l'écran de télé un peu géant qui trône en face du canapé dans lequel j'étais langoureusement étalé, une interview de Robert Guediguian, le cinéaste marseillais de "Marius et Jeannette" (mais pas seulement...) qui évoquait l'idéal communiste dans lequel il a baigné dès l'âge des langes.
Et de me dire en moi-même : quand même, l'idéal communiste ! en 2012 ! La lutte des classes, les salauds de patrons qui exploitent les pauvres ouvriers dans des grandes usines à faire du fric, c'est dépassé, c'est ringard... on dirait une rétrospective sur Georges Brassens, merde alors (pardon Georges) ! on est au XXIème siècle quand même ! Et puis je me suis dit : tiens, le voilà l'angle d'attaque de mon prochain article sur mon blog, avec tous mes fans en délire qui attendent mon retour annoncé mais jamais concrétisé, parole de chat sot qui y croit...
Il s'agit d'un livre (pour ceux qui auraient un doute sur ce qu'est un livre, je vous conseille d'aller faire une petite révision hilarante par ici). Un gros livre : pas loin de 700 pages. Un vrai polar. Plus précisément, un polar vrai. Un livre d'histoire contemporaine. L'histoire de chacun d'entre vous, celle de vos parents. C'est l'Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours. Et pour ceux qui veulent être sûrs du sujet, il y a un sous titre : "le vrai visage du capitalisme français".
Rien que le titre, ça fleure bon la vieille réthorique d'un Mélenchon sous l'emprise du Marchais. Et pourtant, chers lecteurs, quelle Histoire ! Références et preuves à l'appui, les cinq journalistes qui ont collaboré à l'ouvrage retracent une épopée haletante, incroyable, hallucinante. C'est l'histoire de l'avidité, du cynisme, de la manoeuvre, de l'affairisme, des coups tordus, des grandes manipulations, des trahisons, des alliances contre-nature, des guéguerres fratricides, et tout ça pour quoi ? pour le hold-up le plus improbable, le plus long et le plus mal connu de l'histoire moderne du pays des Lumières (Lumières, tu parles !), le ratissage méthodique par ceux qui ont des miettes qu'ils ont laissées à ceux qui font.
On ne dévoile pas l'intrigue d'un bon polar, mais sachez que ça démarre très fort : au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les patrons français, qui ont pour l'essentiel continué le business avec les allemands, se refont une virginité sous couvert d'anti communisme avec l'argent de la CIA. Le hold-up commence avec le plan Marshall et la complicité des banques.
Pour faire vite (attention, inspirez un bon coup) : la faillite volontaire de l'Etat français, la création dun CNPF dirigé par des hommes pas tous recommandables, les clubs d'influence des organisations patronales, les manoeuvres de la CIA pour faire éclater la CGT (et financer la création de Force Ouvrière), l'argent de la caisse des congés payés du batiment, celui de la médecine du Travail, celui de l'insertion des handicapés, la main-mise sur les médias audiovisuels, les scandales du 1% logement, le pillage de la formation professionnelle, le pétrole, l'Afrique, les caisses noires anti-grève du patronat, l'arrosage des syndicats "jaunes", l'utilisation des gros bras d'extrème-droite pour faire le coup de poing dans les manifestations, le financement des partis politiques, la FNSEA, Dassault, Hersant, Bouygues, Lagardère, Monod, Bolloré, Mulliez, Leclerc, Tapie (et son avocat Borloo), Attali, Minc, DSK et tant d'autres, dans l'ombre ou dans la lumière, les Madelin, Devedjian, Longuet, issus de l'extrème droite et recyclés dans les organisdations patronales avant d'être "injectés" dans le circuit politique, les affaires déjà oubliées : LIP, l'amiante, le Crédit Lyonnais, Métaleurop... un scandale chasse l'autre. Trop de scandales tue les scandales.
Et tant d'autres choses : chaque chapitre est comme un coup de poing ; chaque renvoi, chaque citation, chaque référence nous rappelle que tout ce qui est écrit est vrai et vérifiable. Pas une info qui ne soit solidement étayée par des faits, des chiffres, des témoignages. L'énorme travail de cinq journalistes connus et reconnus.
Finalement, le vieux discours "communiste", dans son idéal, est en-dessous de la réalité factuelle. Oui, ces gens-là sont des salauds, notre histoire ne vaut pas mieux que celle du Moyen-Âge : il y a encore des rois de droit divin, des seigneurs tout puissants, des vassaux crapuleux, et tout un petit peuple qui sert de prétexte au jeu sordide, inhumain et sans gloire de ces gens-là. Et contrairement à l'adage, il est à craindre que l'Histoire ne jugera pas.
Histoire secrète du patronat français, sous la direction de Benoît Collombat et David Servenay, avec Frédéric Charpier, Martine Orange et Erwan Seznec, éditions La Décuverte, 2009.