Dix jours au pays des cigales - chapitre 7

Publié le par Tiger


Ma fenêtre préférée

J'ai adopté mon rythme de croisière. Compte tenu du temps qu'il me reste à passer ici, j'ai limité ma surface de jeu à quelques longueurs autour de la maison. Je reste prudent car j'entends parfois tinter le grelot du monstre, signe qu'il rode alentour. J'ai même repéré l'odeur de son urine à des endroits stratégiques. Stratégiques... pour un chien comme lui, peut-être. Mais pas pour moi. Ce ballot ignore sans doute que les chats ne se laissent pas mener par le bout de la truffe par leurs instincts comme de vulgaires canidés. Mais bon, comment l'animal qu'il est pourrait-il pressentir que je suis bien plus malin que lui ? Il a la puissance brute, j'ai l'intelligence. L'un compense l'autre. Je me dois donc d'assurer mes arrières. Je l'ai fait en me dégotant ma niche, je le fais encore en repérant, avant mes sorties, toutes les possibilités de retour, principalement par les fenêtres. Dans ma maison, il ne peut pas m'atteindre car mes maîtres prennent soin de fermer les portes pour lui en empêcher l'accès. Seules les fenêtres sont ouvertes partiellement.
Ma fenêtre préférée donne sur une petite terrasse carrelée qui ne sert pas à grand chose car elle n'est pas protégée des ardeurs du soleil. Elle fait parfois office de solarium mais reste la plupart du temps déserte. Tiger-pingpong.pngLa seule chose que j'y ai découvert est une balle de tennis de table orange qui semble aussi abandonnée que le reste de l'endroit. Pas une fois je n'ai vu mes maîtres s'adonner à la pratique de ce sport, je suppose donc que cette balle erre sur le carrelage depuis longtemps, peut-être l'été précédent, au gré des vents qui parviennent à se faufiler entre les collines arborées qui entourent mon lieu de villégiature.
Sur deux de ses côtés, cette terrasse est équipée de garde-fous en fer forgé. L'un donne sur un contrebas de plus de trois mètres, l'autre sépare la terrasse d'un chemin autrefois carrossable assez pentu. A son extrémité la plus basse, la terrasse est presque au niveau du chemin. C'est généralement par là que je choisis de m'éloigner vers les arbres.





Quand vient le soir et avec lui un semblant de fraîcheur, j'aime me poster sur le bord de ma fenêtre préférée. De là, ni dedans ni dehors, j'observe à loisir les territoires que j'ai découverts, je me remémore ce que j'ai vu et vécu, je prépare mes expéditions futures, j'affine mentalement les plans des différentes zones du territoire. Tiger-fenetre-Ceyreste.pngJ'écoute les cigales cesser les unes après les autres leurs stridulations zézayantes, au fur et à mesure que le soleil s'enfonce derrière les arbres, n'accordant au paysage qu'une lumière de plus en plus déclinante. Je pourrais rester comme ça des heures. D'ailleurs, c'est ce que je fais, si toutefois le grelot annonciateur ne se fait pas entendre. L'autre soir, emporté dans mes pensées, je n'ai pas entendu le monstre s'approcher. Il avait du s'avancer chaussé de ses chaussettes de silence et son grelot n'avait pas tinté. Je le vis au dernier moment, qu'un sinistre grondement remontait de sa gorge avant d'éclater en un terrible aboiement. Réfléchissant à toute vitesse, je me dis qu'une fuite dans la maison entraînerait un saut du monstre à travers la fenêtre, même si cette dernière ne laissait pas assez d'espace pour qu'il puisse passer. Il risquait de casser quelque chose, un montant de fenêtre ou, se réceptionnant tant bien que mal à l'intérieur, les affaires de mes maîtres rangées tout près. Avant que l'aboiement ait fini de résonner, j'avais moi-même terminé mon raisonnement et opté pour une fuite sur le côté et une course autour de la terrasse. Le monstre me suivrait, dégageant ainsi l'accès à la fenêtre. Le temps de faire le tour, le bruit aurait alerté mes maîtres qui jouaient à la pétanque non loin de là. J'aurai le temps de rentrer par la fenêtre et de plonger vers ma niche avant que le molosse ait eu le temps de comprendre où j'étais passé. Et c'est ce qui arriva. Le monstre se jeta à ma poursuite en beuglant comme un damné dans les flammes de l'enfer, tentant de me suivre tant bien que mal. Pour donner du piment à la scène, je poussai moi aussi quelques cris suraigus dont je savais qu'ils provoqueraient une attention immédiate chez mes maîtres. Après avoir accompli le tour de la terrasse, je sautai à travers la fenêtre entrouverte et fonçai dans la niche au-dessus de la douche. Glissant un oeil hors de mon repère, je constatai avec satisfaction que mes maîtres avaient accouru en criant et que le monstre, dépité, tentait vainement de comprendre par quel prodige je m'étais instantanément volatilisé.



lire aussi :

chapitre 1 :  Préparatifs
chapitre 2 :  Le voyage
chapitre 3 :  Accoutumance
chapitre 4 :  Sortir
chapitre 5 :  Tout est à recommencer
chapitre 6 :  La niche du chat
chapitre 7 :  Ma fenêtre préférée
chapitre 8 :  Le blues du voyageur

Publié dans ma vie de chat

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Des vacances trépidantes ! :0010:
Répondre
M
vraiment très beau ce chat noir!!!!!
Répondre
M
Je viens en cachette lire tes aventures pendant que mes toutous sont au jardin, parce que je crois qu'ils seraient vexes de me voir rire a la description de leur collegue le monstre...<br /> Remarque, avec eux, tu n'aurais peut etre pas de probleme car ils avaient tous adopte le chat de mes parents. A tel point meme que quand il est parti, une de mes chiennes n'a pas mange pendant plusieurs jours par depit.Comme tu le vois, certains monstres ont bon coeur.<br /> Bises et papattouilles derriere l'oreille gauche.
Répondre